J’ai grandi dans la banlieue de Boston
dans les années 1990, bercée par
une poignée de certitudes : l’équipe
des Red Sox ne gagnerait jamais les
World Series, les filles qui aimaient
les maths n’étaient pas cool et il
fallait porter du rose à toutes les
occasions. Une autre « vérité » plus
ésotérique pour moi à l’époque était
la conviction que les projets sociétaux
et l’allocation du capital financier
étaient résolument incompatibles.
Aujourd’hui, alors que j’écris ces lignes
tout en arborant mon écharpe la plus
rose, je suis heureuse de dire qu’une
seule de ces « certitudes » est encore
vraie : constat subtil, mais puissant,
de la transformation du monde, où,
de plus en plus, ceux qui allouent le
capital sont conscients de l’avantage d’aligner leurs décisions financières
avec des tendances sociétales, dans
le cadre d’un processus global visant
à la fois à améliorer les résultats
d’investissement et la société.
Depuis quelques années, l’idée que
les cadres de prise de décisions
d’investissement doivent évaluer
et mieux intégrer des facteurs
historiquement considérés comme
« extra-financiers », comme le
changement climatique et la diversité,
sous toutes ses formes, remporte une
adhésion croissante.
Devant l’accumulation de preuves
attestant que la prise en compte de
ces facteurs permet effectivement de
repérer des investissements mieux
en mesure de gérer les risques,
défis et opportunités de croissance
d’une entreprise, il devient de plus
en plus évident que le vieux débat
« valeur contre valeurs » n’est plus
d’actualité. Celui-ci laisse place à une
nouvelle définition, extraordinaire et
exaltante, dans laquelle des facteurs
traditionnellement considérés par
beaucoup comme extra-financiers sont
maintenant objectivement essentiels.
Par exemple, Aon a récemment
conclu que « l’intégration de l’ESG
dans le processus et la stratégie
d’investissement est intrinsèquement
compatible avec la mission fiduciaire et
le fait d’agir dans l’intérêt à long terme
des parties prenantes ».1 Ajoutez la
convergence des projets de société
et de l’allocation du capital : cette
intégration est en train de redéfinir les
décisions d’investissement.
Il ne fait aucun doute que les sociétés
de gestion d’actifs jouent un rôle vital
dans l’allocation du capital pour le
compte des investisseurs, y compris
en évaluant les impacts financiers de
ces projets de société en évolution.
En réalité, une affectation prudente du
capital à des entreprises bien gérées
prenant en considération tous les
facteurs d’influence sur le risque et
le rendement est souvent vue comme
une composante indispensable
d’un processus d’investissement
solide.
Chez Columbia Threadneedle
Investments, nous observons la
même efficacité de la part de nos
propres notations d’investissement
responsable, qui renseignent sur
l’existence d’un possible avantage
concurrentiel à long terme. Par
la lorgnette d’une recherche
d’investissement élargie, incluant des
facteurs dont le caractère essentiel
est apprécié depuis peu et ayant
une réelle influence sur le profil de
rendement/risque, même l’investisseur
le plus capitaliste voit ses certitudes
remises en question et doit repenser
son approche afin de voir si celles-ci demeurent en phase avec les
nouveaux moteurs du marché.
Par exemple, il devient désormais
communément admis que l’évaluation
des risques induits par la transition
énergétique peut fournir une vision
éclairée sur une entreprise par rapport
à ses concurrentes et donner plus de
visibilité sur ses opportunités et ses
défis en matière d’investissement.
En fait, ce point de vue est rapidement en train de devenir la base de
l’identification d’entreprises mieux
positionnées pour générer de la valeur
à long terme.
Cette nouvelle tendance est portée
par le rôle majeur et de plus en plus
fort joué à la fois par les instances
de réglementation et la demande qui
cherchent à résoudre les problèmes
du changement climatique, ceux
liés à la diversité et d’autres enjeux
sociétaux de taille, construisant
ainsi le socle d’un engagement plus
marqué en faveur du bien commun.
Les entreprises soucieuses de
la durabilité dans la volonté de
contribuer à un avenir plus sûr attirent
d’importants flux de capitaux : la
croissance des actifs placés dans des
investissements durables a atteint
15% ces deux dernières années,2
36% du total des actifs gérés par des
professionnels de l’investissement
font désormais l’objet de stratégies
durables, et des prévisions établies
récemment estiment que les
investissements durables pourraient
représenter 13.000 milliards USD dans
le monde en 2025,3 soit quatre fois
plus que fin 2020.
De toute évidence,
de puissantes forces sont en train
de donner un nouveau visage aux
marchés financiers internationaux
en incitant au changement et en
soulignant la transition à l’œuvre dans
notre secteur.
De la même façon, les politiques
publiques et les évolutions
réglementaires contribuent à
l’intégration accrue des projets de
société avec l’allocation du capital,
à mesure que certains sujets comme
le changement climatique polarisent
davantage l’attention de Washington
et d’autres Etats. Là encore, les
entreprises à même d’anticiper et de prendre des mesures pour améliorer
par exemple leur durabilité et leur
transparence dans ce domaine avant
la mise en œuvre des politiques
publiques dédiées auront l’opportunité
de se créer et d’approfondir un
gros avantage concurrentiel.
Ainsi,
aux Etats-Unis, les réglementations
relatives à l’investissement
responsable s’intègrent de plus en
plus à la mission fiduciaire, depuis
que le ministère du Travail américain
a annoncé qu’il n’appliquerait pas
l’obligation, pour les fournisseurs de
régimes de retraite comme les plans
401(k), de prendre et documenter
des mesures confirmant que les
rendements financiers n’étaient pas
compromis lors de l’affectation de
capital à des investissements axés sur
des critères environnementaux, sociaux
et de gouvernance.
Ainsi,
aux Etats-Unis, les réglementations
relatives à l’investissement
responsable s’intègrent de plus en
plus à la mission fiduciaire, depuis
que le ministère du Travail américain
a annoncé qu’il n’appliquerait pas
l’obligation, pour les fournisseurs de
régimes de retraite comme les plans
401(k), de prendre et documenter
des mesures confirmant que les
rendements financiers n’étaient pas
compromis lors de l’affectation de
capital à des investissements axés sur
des critères environnementaux, sociaux
et de gouvernance.
De l’autre côté de
l’Atlantique, le Plan d’action pour la
finance durable de l’Union européenne
a introduit de nouvelles définitions afin
d’intégrer l’investissement responsable
et durable à la législation, alors que
l’agenda international en matière de
durabilité met l’accent sur le rôle du
secteur des services financiers pour
réaliser des changements importants,
au travers d’ententes comme
l’Accord de Paris et les Objectifs
de développement durable des
Nations unies.
Parmi les nombreux sujets d’envergure
couverts par l’investissement
responsable figure la diversité.
Cette thématique a légitimement et
formidablement gagné en importance
dans le contexte de nouvelles
recherches attestant la meilleure
qualité des décisions prises par les
entreprises où la diversité est mieux
représentée. De très nombreuses
données illustrent effectivement cette vérité simple : la diversité des
milieux d’origine, des expériences, et
plus généralement des visions sur
le monde, favorise une approche en
mosaïque qui rend plus efficace la
stratégie des entreprises.
Willis
Towers Watson, par exemple,
a récemment conclu que « les équipes
d’investissement représentatives de
la diversité, en particulier ethnique,
ont tendance à générer davantage
d’alpha. »4 La diversité des parcours
devient donc, à juste titre, un aspect
recherché pour élargir les champs de
la réflexion et de l’innovation, et les
cultures inclusives sont considérées
comme l’assise de la créativité et de
la pensée avant-gardiste. Les chiffres
sont connus : les entreprises du
classement Fortune 500 dont les
conseils d’administration comptent
davantage de femmes surperforment
leurs pairs de 53%, et celles qui
sont les mieux notées au regard
de l’inclusion et de la diversité ont
70% plus de chance de réussir
sur de nouveaux marchés et 45%
plus de chance d’augmenter leur
part de marché.5
Qu’il s’agisse de
facteurs sociaux, comme la diversité,
ou environnementaux, comme la
consommation de carbone, les
données abondent pour plaider en
faveur d’un alignement clair de ces
critères historiquement extra-financiers
au sein d’une thèse d’investissement
solide et défendable.
Cela semble évident aujourd’hui,mais l’heure est pour l’instant à la
révélation. Il y a trente ans, et même
seulement cinq ans, personne n’aurait
compris que des ambitions sociétales
puissent devenir un aspect clé d’une
recherche fondamentale efficace et
receler des sources quantifiables
d’avantages concurrentiels pour ceux qui possèdent les actifs et ceux
qui les investissent. Il est rare que
des transformations si radicales se
produisent au niveau des décisions
d’allocation du capital dans notre
secteur.
C’est pourquoi nous devons
prendre le temps de la réflexion et
reconnaître qu’un nouveau paradigme
s’installe : il existe une nouvelle finalité
d’ordre social au sein de la gestion
d’actifs. Au lieu de journées
de services d’intérêt général et de
dons à des causes louables (qui
demeurent d’excellentes choses !),
on parle désormais de la responsabilité
fiduciaire d’intégrer de telles
considérations dans les processus de
recherche en tant que composantes
essentielles, permettant de repérer
plus facilement les entreprises les
mieux positionnées pour créer des
rendements à long terme solidaires.
Néanmoins, le but social de la gestion
d’actifs ne se limite pas à intégrer
des points de vue de société dans
des processus d’investissement
robustes. Source de rendement
supplémentaire, ce but doit de toute
évidence conduire les gestionnaires
d’actifs non seulement à identifier
et incorporer ces facteurs, mais
aussi à prendre la tête d’initiatives
favorisant des progrès de société, sur
des thématiques comme la diversité
ou les enjeux environnementaux,
sociaux et de gouvernance, à même,
selon nous, d’accroître le retour sur
investissement. Si nous pensons que
ces sujets recèlent un potentiel de
création de valeur inexploité, notre
mission fiduciaire nous impose de
chercher à le libérer.
Par ailleurs, il devient nécessaire,
pour notre industrie, d’appuyer
une réglementation qui durcit ses
exigences de transparence vis-à-vis des entreprises, et de mener
à bien des programmes efficaces
d’engagement et de gouvernance
contribuant à atteindre des résultats
encore meilleurs pour nos clients.
Ce n’est pas un acquis, mais de
nombreuses sociétés de gestion
d’actifs, dont Columbia Threadneedle,
commencent dès à présent à
adopter une approche plus ciblée
de l’engagement en valorisant un
dialogue direct avec les entreprises
et les responsables politiques au
sujet des enjeux ESG pouvant influer
considérablement sur une performance
solidaire à long terme.
Toutefois, il serait facile d’oublier que
ce but social de la gestion d’actifs ne
s’arrête pas non plus à nos maisons
de verre. En définitive, si nous voulons
que notre conviction soit authentique,
il est aussi de notre responsabilité
de tourner le miroir vers nous et de
nous assurer que nous aussi, nous
mettons tout en œuvre pour nous
conformer aux normes que nous fixons
pour les entreprises dans lesquelles
nous investissons.
Cela implique
de continuer à faire la lumière sur la
pertinence de ces facteurs critiques,
jusqu’à ce qu’il devienne habituel
d’intégrer de telles considérations
dans le moindre aspect de notre
culture. Cela signifie défendre une
conscience environnementale de notre
propre consommation de carbone,
continuer d’améliorer la confidentialité
de nos réseaux, soutenir publiquement des régimes réglementaires exigeant la
transparence, comprendre et partager
nos propres données et opter pour une
vraie diversité au sein de nos équipes.
Une telle mission d’exemplarité
peut vite sembler décourageante en
raison des très nombreux facteurs
qu’elle implique de prendre en
considération ; mais dans le cadre de
notre responsabilité fiduciaire, un tel
but social poursuivi par notre propre
organisation doit être vu comme un
outil supplémentaire de création de
valeur à long terme, même si cette
valeur est en vérité la nôtre.
Comme
beaucoup d’autres choses, le progrès
commence souvent par la simple prise
de conscience que le changement se
produit d’abord de l’intérieur, par la
reconnaissance de petites vérités et
par la fixation d’objectifs réalistes en
direction d’évolutions profondes,
et ce quoi qu’il en coûte. Pour moi,
cette première petite étape célèbre une
certaine vérité qu’une jeune fan
de baseball originaire de la banlieue
de Boston a mis des dizaines
d’années à verbaliser : les filles qui
aiment les maths sont cool, et ça ne
fait aucun doute.