La 26e Conférence des parties des Nations unies sur les changements climatiques, ou « COP26 », se déroulera à Glasgow du 31 octobre au 12 novembre1. Son but est d’accélérer les mesures prises pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris, convenus en 2015, ainsi que ceux de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques. Les investisseurs feraient bien de prêter attention à ses conclusions, car elles pourraient donner lieu à des politiques et réglementations qui affecteront les entreprises et créeront des opportunités de croissance verte.
Que faut-il attendre de la Conférence ?
La COP26 poursuit plusieurs priorités, que nous allons explorer en détail :
- Conclure des engagements plus ambitieux pour ramener la température de la planète à 1,5 °C au-dessus des niveaux préindustriels (ce qui correspond plus ou moins au net zéro)
- Mobiliser les financements climatiques
- Finaliser l’article 6
Objectifs climatiques plus ambitieux attendus des différents pays
Les objectifs de réduction des émissions fixés par l’Accord de Paris en 2015 (contributions déterminées au niveau national)2 sont mis à jour et améliorés tous les cinq ans en vertu d’un mécanisme de « cliquet » qui permet aux pays concernés de revoir leurs ambitions à mesure que les technologies se développent et que les coûts diminuent. Collectivement, les promesses des pays ont réduit la variation de la température de la planète de 2,7 °C au-dessus des niveaux préindustriels (résultats des premières contributions déterminées au niveau national proposées à la suite de l’Accord de Paris) à 2,4 °C sur le cycle actuel3, qui se termine par la COP26. Ce mécanisme engendrera de nouvelles diminutions progressives sur les prochains cycles de cinq ans, bien que des pays importants tels que l’Australie et l’Inde n’aient pas encore communiqué leurs contributions mises à jour.
Depuis le dernier sommet, les différents pays ont également réalisé des progrès considérables dans la définition d’objectifs en matière de neutralité carbone, même si cela n’est pas une composante officielle de l’Accord de Paris (qui recommande de fixer un objectif de moins de 2 °C tout en visant 1,5 °C). La Chine et les Etats-Unis ayant exprimé leur accord, les pays engagés vers le net zéro représentent désormais 70% des émissions mondiales.4 Toutefois, les promesses ne se reflètent pas toujours dans les contributions déterminées au niveau national, ce qui peut porter à confusion. L’Agence Internationale de l’Energie souligne également que ces objectifs de neutralité carbone ne sont pas encore appuyés par les politiques et mesures mises en œuvre à court terme. Dans ses dernières Perspectives énergétiques mondiales, l’Agence affirme que les promesses climatiques prises aujourd’hui n’engendreront que 20% de la réduction des émissions requise d’ici 2030 pour mettre le monde sur la voie du net zéro avant 2050.5 Il faut donc que les promesses se multiplient et s’améliorent.
Cela concernera tout particulièrement le secteur de l’énergie, car la plupart des objectifs intermédiaires fixés par les pays développés visent à produire de l’électricité sans carbone d’ici 2035. Parmi les priorités de la COP26 figure également la nécessité de progressivement supprimer le charbon.6
La COP26 est donc l’occasion pour les gouvernements de renforcer leurs ambitions climatiques et les définitions y afférentes, par le biais de politiques et d’investissements, en communiquant aux entreprises des informations plus fiables et plus précises sur leurs engagements envers le net zéro.
Elargissement des financements climatiques
Il y a plus de dix ans déjà, les pays développés avaient promis aux pays en développement de leur apporter 100 milliards de dollars par an pour 20207afin de les aider à gérer l’impact du changement climatique et investir dans les énergies vertes.
A ce jour toutefois, les pays riches n’ont pas mis la main à la poche, ce qui crée des tensions à l’approche du sommet. L’OCDE estime que les pays développés ont mobilisé 80 milliards de financements climatiques en 2019, soit 20 milliards de moins que ce qu’ils avaient promis. De plus, selon des recherches récemment menées par le World Resources Institute, la plupart des pays développés ne contribuent pas de façon équitable à l’objectif de 100 milliards de dollars8. Trois grandes économies ont versé moins de la moitié de leur part : les Etats-Unis, l’Australie et le Canada.
Les pays en développement affirment que, sans ce soutien financier, ils ne seront pas en mesure de réduire leurs émissions comme l’Accord de Paris le voudrait. Et il est indéniable que ces pays n’ont pas accès aux capitaux qui leur permettraient d’investir dans la décarbonation.
Par ailleurs, l’Agence Internationale de l’Energie estime que, pour atteindre le net zéro, les investissements consacrés aux infrastructures et aux projets d’énergie propre devront plus que tripler sur les dix prochaines années. Environ 70% de ces dépenses supplémentaires devront intervenir dans les pays émergents et en développement, où les financements sont rares et où le capital est jusqu’à sept fois plus cher que dans les pays développés9.
Les pays développés sont susceptibles de promettre de nouveaux financements climatiques lors de la COP26, et de définir un plan d’action concret pour apporter au moins 500 milliards de dollars aux pays en développement entre 2020 et 2024. Mais cela ne suffira probablement pas. Pour respecter les engagements de neutralité carbone de l’Accord de Paris d’ici 2050, il faudrait investir à hauteur de 5.000 milliards de dollars par an, soit 150.000 milliards de dollars sur trente ans. C’est du moins ce qu’estime l’Agence Internationale de l’Energie.10
La COP26 parviendra-t-elle à faire respecter cette promesse ? A tout le moins, certains événements suggèrent que les financements vont augmenter. Le mois dernier, le président américain Joe Biden s’est engagé à doubler sa contribution à 11,4 milliards de dollars. Toutefois, cette enveloppe ne se matérialisera pas avant 2024 et n’a pas encore été approuvée par le Congrès11 .
Accord sur l’article 6
L’article 6 de l’Accord de Paris définit le mécanisme permettant aux différents pays d’échanger des droits d’émission de carbone. Il s’agirait dans la pratique d’un marché international du carbone régi par les Nations Unies et ouvert aux secteurs publics comme privés, ainsi que d’une coopération hors marché, c’est-à-dire de l’aide au développement.
Dans les règles d’application de l’Accord de Paris, seules celles relatives aux marchés volontaires du carbone ne sont pas encore finalisées. Toutes les autres ont été convenues lors de la COP24 qui s’est déroulée en Pologne en 2018. Chaque année, à l’approche du sommet sur le climat, les observateurs espèrent toujours un peu plus que les signataires se mettront d’accord sur les modalités de l’article 6. Cette année n’est pas différente des autres, mais la situation pourrait-elle vraiment se débloquer cette fois-ci ?
Le plus gros problème de l’article 6 réside dans les crédits carbone instaurés en vertu du Protocole de Kyoto : faut-il les inclure ou non ? Ces crédits sont très controversés car une grande partie des réductions d’émissions réalisées par le biais des projets y afférents ne viennent pas « en sus », mais qui auraient de toute façon été réalisées. S’ils étaient inclus dans l’article 6, cela pousserait les pays concernés à tenir leurs promesses à l’aide de crédits bon marché (moins de 1 dollar la tonne), qui ne produisent pas de décarbonation supplémentaire. Cela affaiblirait considérablement l’impact de l’Accord de Paris et renforcerait la probabilité de ne pas atteindre l’objectif d’un réchauffement de moins de 2 °C.
Certains pays défendront sans doute becs et ongles l’inclusion des crédits de l’ère de Kyoto, notamment la Chine, l’Inde, la Corée du Sud, le Brésil et le Mexique. Rien d’étonnant à cela, puisqu’ils avaient collectivement acheté des millions de ces « unités de réduction certifiée des émissions » à l’époque (figure 1). La Russie et l’Ukraine possèdent elles aussi des crédits importants, associés à un régime légèrement différent du Protocole de Kyoto.
L’article 6 présente d’autres pierres d’achoppement :
- Les règles de la comptabilité carbone afin d’éviter le double comptage. Par exemple, le Brésil et l’Inde veulent pouvoir inclure les crédits vendus à d’autres pays dans leurs propres réductions d’émissions.
- L’annulation automatique des crédits en vertu du mécanisme du marché mondial du carbone, afin d’assurer une atténuation globale des émissions mondiales. Les petits états insulaires tiennent beaucoup à ce qu’un calendrier d’annulation soit établi. C’est important, car cela permettrait d’éviter que le marché ne devienne saturé et inefficace. Si les règles ne sont pas assez strictes, les mécanismes risqueraient d’être submergés par un raz de marée de crédits inutiles.
Figure 1 : volume des unités de réduction certifiée des émissions émises et disponibles
Source : OCDE/AIE. Nombre d’« unités de réduction certifiée des émissions » émises par chaque pays ou groupement (bleu) et toujours disponibles au 31 décembre 2018 (jaune) PMD = groupement des pays les moins développés
Tout ceci est important car le régime d’échange de carbone du Protocole de Kyoto, le mécanisme pour un développement propre, est largement considéré comme un échec. Et l’article 6 risque malheureusement de subir le même sort. Beaucoup estiment que ce mécanisme a freiné les objectifs, car la plupart des émissions réduites dans ce contexte l’auraient de toute façon été, soit parce qu’elles étaient économiquement judicieuses même sans les crédits soit parce qu’elles étaient légalement obligatoires.
Les objectifs insuffisants du Protocole de Kyoto en matière d’émissions ont engendré un énorme excédent de crédits dans de nombreux pays où la décarbonation n’est pourtant pas tangible. Citons par exemple les anciens pays de l’Union soviétique, qui ont dépassé leurs objectifs d’émissions en raison d’une moindre productivité due au ralentissement économique, et qui se sont donc vu accorder des crédits pour la plupart sans valeur. Ce phénomène, surnommé « air chaud tropical », est un autre problème potentiel pour l’Accord de Paris.
Implications de la COP26 en termes d’investissement
Entreprises
Si la COP26 aboutit à des conclusions favorables, cela pourrait améliorer la visibilité sur la future trajectoire des politiques et réglementations et donner un coup de fouet aux investissements verts. Bien que les accords passés soient des engagements d’Etat de haut niveau, ils doivent néanmoins se traduire par des politiques concrètes pour être réalisés.
Des objectifs de neutralité carbone plus ambitieux, soutenus par des mesures d’évaluation et des plans d’action tangibles, permettront de jauger les politiques et réglementations, ce qui donnera plus de certitude aux entreprises. L’ambiguïté et l’incertitude qui règnent actuellement retardent les investissements et accentuent le risque de produire des actifs échoués. Il serait donc judicieux pour les entreprises de surveiller les conclusions de la COP26, qui leur donneront une idée des conditions dans lesquelles elles devront exercer leurs activités au cours des prochaines décennies.
Un cinquième des plus grandes entreprises au monde se sont engagées, d’une façon ou d’une autre, en faveur du net zéro. Cependant, l’Agence Internationale de l’Energie affirme que 40% d’entre elles n’ont pas encore commencé à prendre les mesures nécessaires pour tenir leurs promesses.12 Une plus grande clarté quant aux objectifs et aux plans des gouvernements pourrait les aider à formuler leurs propres plans de décarbonation et à accélérer leurs investissements dans les solutions y afférentes.
Un accord ferme et définitif sur l’article 6 pourrait quant à lui contribuer à l’établissement d’un cadre juridique et instaurer un marché volontaire du carbone de grande envergure. Barclays estime que ce marché pourrait atteindre 250 milliards de dollars par an d’ici 2030 (contre seulement 500 millions de dollars aujourd’hui) et 1.000 milliards de dollars d’ici 205013 . Les secteurs axés sur les solutions naturelles offriront des opportunités de croissance, ainsi que ceux de l’énergie, de la finance, de l’agriculture, de la technologie agricole et des entreprises spécialisées dans les processus de surveillance et de vérification. Cela dit, le marché se méfie de plus en plus du greenwashing inhérent à ces solutions, de sorte qu’elles doivent être gérées de façon appropriée pour ne pas s’attirer les foudres des consommateurs.
Parallèlement, la COP26 donnera probablement lieu à des annonces plus strictes de la part du secteur privé. Le sommet rassemblera de nombreux chefs d’entreprise et sociétés, qui pourraient décider de formuler des stratégies climatiques plus solides, de façon indépendante ou par le biais de groupes de travail spécifiques à leur secteur respectif (citons par exemple les secteurs de l’acier, de la mode et de la finance). Ou encore, ils pourraient décider de s’associer à des organisations telles que Race to Zero.
Race to Zero14 est une campagne mondiale soutenue par les Nations Unies, qui vise à encourager les acteurs non étatiques (dont les entreprises, les villes, les régions, les établissements financiers et les établissements d’enseignement) à prendre des mesures rigoureuses et immédiates pour réduire les émissions mondiales de moitié d’ici 2030 et instaurer un monde neutre en carbone plus sain et plus équitable. La campagne vise à aligner les objectifs net zéro dans tous les secteurs et à définir des normes minimales sur les éléments que ces objectifs devraient intégrer.
Le secteur financier
Le secteur financier est bel et bien dans la ligne de mire de la COP26. La Glasgow Financial Alliance for Net Zero15 regroupe des initiatives existantes et nouvelles pour le net zéro, au sein d’une coalition couvrant l’ensemble du secteur qui vise à accélérer la transition vers la neutralité carbone en alignant les portefeuilles de prêt et d’investissement, ainsi que d’autres domaines du système financier. Ces engagements auront des implications dans l’ensemble de l’économie, car ils faciliteront l’accès au capital pour les entreprises qui ont activé la décarbonation et pourraient réduire cet accès pour les entreprises qui n’ont pas encore commencé à s’aligner sur le net zéro.
Les investisseurs ont donc intérêt à surveiller les stratégies de décarbonation des différents secteurs, qui pourraient leur donner une idée de l’évolution future de la concurrence, de l’orientation des financements et des solutions de décarbonation mises en œuvre. Armés de ces informations, ils pourraient alors identifier le plus tôt possible les gagnants et les perdants de la transition. La COP26 est également pertinente pour les membres de l’initiative Net Zero Asset Managers16, un groupe de 128 signataires représentant un encours sous gestion de 43.000 milliards de dollars, car ces investisseurs se sont engagés à aligner leurs portefeuilles sur le net zéro d’ici 2050. Les signataires doivent encore annoncer les objectifs d’émissions de leurs portefeuilles pour 2030 et, pour ceux qui étaient présents dès le lancement de l’initiative, cela doit être fait avant la COP26.
Secteurs non financiers
Le secteur des transports devrait être une priorité de la COP26. A cet égard, le Royaume-Uni, pays hôte, s’est fixé l’objectif ambitieux de ne plus vendre aucune voiture à moteur à combustion interne d’ici 2030. « Charbon, voitures, cash et arbres » – voilà comment le Premier ministre Boris Jonhson résume ses priorités, annonçant deux semaines avant le début de la conférence un nouveau programme incitatif de 1 milliard de livres sterling en faveur des véhicules électriques. Il espérait à cette occasion pousser d’autres dirigeants mondiaux à faire des « promesses plus importantes »17 . Pour l’instant, on ne sait pas quelles seront les autres annonces faites durant le sommet…
Dans l’attente du sommet, le méthane suscite lui aussi de l’attention. En août 2021, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), le plus grand groupe mondial de spécialistes du climat, a publié un nouveau rapport18 sur les bases physiques du changement climatique. Cette nouvelle version, la première depuis 2013, souligne une situation inquiétante s’agissant du méthane. Selon elle, les émissions de méthane enregistrées depuis le rapport précédent sont conformes au scénario d’émissions élevées qu’il présentait. Bien que le méthane ne reste pas aussi longtemps que le dioxyde de carbone dans l’atmosphère, c’est un gaz à effet de serre beaucoup plus puissant : 84 fois plus néfaste que le dioxyde de carbone sur une période de vingt ans et 28 fois plus néfaste sur une période de cent ans19. De gros volumes de méthane menacent véritablement la réalisation des objectifs de neutralité carbone d’ici 2050. Selon certaines estimations, ce gaz représente près d’un quart du changement climatique (forçage radiatif) observé jusqu’à présent.
Tout ceci est important pour le secteur privé, car l’industrie pétrolière et gazière et les activités agricoles sont les plus gros émetteurs de méthane. Le méthane est considéré comme un combustible de transition car il produit environ la moitié des émissions attribuables au charbon lors de la combustion. Cependant, toute fuite lors de l’exploration et de la production amoindrit rapidement cet avantage, là aussi en raison du réchauffement climatique dont il est responsable, supérieur à celui du dioxyde de carbone.
Conclusion
La Conférence sur les changements climatiques est la plus attendue depuis celle de Paris en 2015. L’enjeu est considérable. Toutefois, les signes glanés ici et là avant Glasgow sont à tout le moins mitigés. Un échec du sommet accentuerait les incertitudes, ce qui freinerait les progrès en matière de transition énergétique et nuirait à la mobilisation des financements nécessaires vers les investissements verts. Cela pourrait également affecter l’évolution des politiques climatiques au niveau national. Par exemple, tout signe d’échec de la COP26 pourrait amoindrir la capacité de Joe Biden à mettre ses objectifs climatiques en œuvre et à faire approuver la législation y afférente aux Etats-Unis.